Interview Meylan Finance – François Meylan – L’internet et les câbles sous-marins
Un immense merci à François Meylan pour cette passionnante interview sur les câbles sous-marins et leur rôle essentiel dans l’Internet mondial. Grâce à ses explications claires et détaillées, nous comprenons mieux l’importance stratégique et les défis techniques de ces infrastructures invisibles, mais vitales pour notre connectivité quotidienne.
Pouvez-vous expliquer brièvement ce que sont les câbles sous-marins et leur rôle dans le fonctionnement d’Internet ?
Il y en a plusieurs. Souhaitons-nous totalement exclure tout investissement dans cette industrie comme le fait, entre autres, l’institution de prévoyance zurichoise Nest ? Dans ce cas, vous écartez les deux avionneurs Boeing et Airbus dont plus de 50% de leurs activités se situent dans l’armement. Ou alors vous ne recherchez pas spécifiquement à investir dans le secteur qui nous occupe et vous n’appliquez aucun critère d’exclusion. C’est l’indifférence. Ou encore vous voulez vous constituer un portefeuille d’investissement avec un fort biais dédié à cette industrie. Finalement, vous pouvez aussi adopter la posture de notre Conseil fédéral qui encourage cette industrie mais avec des restrictions telles ne pas exporter du matériel de guerre vers un pays présentement en conflit.
Quelle proportion du trafic mondial d’Internet passe par ces câbles par rapport aux satellites ?
On estime qu’environ 98 % de l’ensemble du trafic Internet intercontinental passe par des câbles sous-marins. Toutefois, l’Internet par satellite n’est qu’au début d’un développement exponentiel. Déjà, pour assurer la connectivité en cas de problème avec les câbles sous-marins et ensuite pour couvrir des zones qui sont difficiles d’accès.
Depuis quand utilise-t-on les câbles sous-marins pour les télécommunications ?
Le premier câble transatlantique est posé en août 1858 entreValentia (Irlande) et Trinity Bay (Terre-Neuve), par deux navires militaires reconvertis en câbliers. Au total, 4 200 km de câble sont alors posés.
Comment ont évolué les technologies utilisées dans ces câbles depuis leurs débuts ?
Pour résumer, on est passé du cuivre à des câbles à fibres optiques qui sont construits par enroulement en spirales et traités avec un ou deux revêtements et renforcés de fil d’acier pour son armure.
Comment sont fabriqués et installés les câbles sous-marins ?
Le câble optique, composé d’une gaine de protection et d’une armature métallique, est protégé par une gaine isolante. Le tout contient deux paires de fibres optiques. Chaque paire de fibres optiques est activée avec des multiplexeurs.
Quels sont les principaux défis techniques lors de la pose de ces câbles ?
Les câbles sont fragiles. Ils peuvent être endommagés par des phénomènes liés à l’activité humaine mais aussi climatiques. Pour les activités humaines, on entend le mouillage de navires, la pêche ou encore les actions de terrorisme ou de vols de matériaux. Ils doivent faire l’objet d’une importante protection. On garde en mémoire cet accident avec des pêcheurs en Écosse qui a privé de communication quelques 23’000 habitants du Schetland, en octobre 2022. Ou encore ces pêcheurs vietnamiens qui ont délibérément détérioré des câbles sous-marins pour en dérober les matériaux, en 2007. Ce qui a plongé près de 90% du Vietnam sans connectivité durant trois semaines.
Comment assure-t-on la maintenance de ces infrastructures en cas de panne ou de coupure ?
En premier lieu, il s’agit de les protéger contre les agressions extérieures. On emploie deux techniques: 1) L’ensouillage qui consiste à enfouir les câbles dans le fond marin à une profondeur donnée; 2) La protection externe par des roches, des matelas béton, des coquilles ou autres procédés.
Précisons toutefois que les attentats qui ont visé le gazoduc Nord Stream ont été opérés à une profondeur comprise entre -80 et -110 mètres. Le très critique détroit Bab el-Mandeb couvre une profondeur de fonds marins comprise entre -137 et -2900 mètres soit une moyenne de -524 m. Les câbles sous-marins quant à eux sont enfouis le plus profond possible. Ce qui diminue drastiquement la faisabilité d’activités criminelles à l’encontre des câbles, en haute mer.
Quels acteurs (entreprises, gouvernements) dominent aujourd’hui le marché des câbles sous-marins ?
Jusqu’en 2010, les acteurs étaient essentiellement les opérateurs téléphoniques. Aujourd’hui, ce sont plutôt les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – qui dominent le marché. Nous dénombrons pas moins de 500 câbles sous-marins à fibre optique. Soit trois fois la distance entre la terre et la lune. Le marché a doublé depuis 2010 et chaque année s’installent 100’000 nouveaux kilomètres de câbles, avec tous les 100 km un répétiteur pour garantir des signaux de qualité.
Là on parle des propriétaires et exploitants mais le leader de l’installation du câble sous-marin est Alcatel Submarine Networks qui a son siège à Saclay, en France, et qui détient environ 40% du marché.
Pourquoi ces câbles représentent-ils un enjeu stratégique dans les relations internationales ?
Dans un mondé interconnecté, on ne peut plus faire sans. Au point, où on double voire on triple les lignes. Et même on diversifie avec l’Internet par satellite. Un marché qui est également en pleine expansion.
Comment les États ou les entreprises protègent-ils ces infrastructures sensibles contre le sabotage ou les cyberattaques ?
Par le biais de patrouilles marines et en particulier par le biais de la surveillance des stations d’atterrissage. C’est-à-dire les endroits où les câbles sortent de l’eau pour poursuivre sur la terre ferme. C’est le point le plus critique et le plus exposé.
Quels sont les risques environnementaux liés à la pose et à l’entretien des câbles sous-marins ?
Bien entendu les câbliers sont des gros bateaux et ils polluent. Mais il y a un impact encore peu connu, selon les scientifiques marins sont les conséquences à long terme des champs électromagnétiques (CEM). Certes les câbles sous-marins peuvent servir d’abri à une grande variété d’espèces marines vivant au fond des mers : anémones, éponges, coraux, étoiles de mer, oursins, vers, bivalves, crabes et autres invertébrés. Mais ils peuvent affecter certaines de ces créatures fragiles, dont beaucoup dépendent de leur propre sens interne du nord magnétique pour naviguer ou utilisent des champs électriques pour les aider à chasser.
Existe-t-il des alternatives viables aux câbles sous-marins pour assurer la connectivité mondiale ?
Oui, la connectivité par satellite. Elle est assurée par un réseau de satellites en orbite terrestre basse, max 500 km d’altitude. Proche de la terre pour avoir un temps de réponse court. Elle permet également de couvrir des zones du globe qui ne sont actuellement pas couvertes. On parle beaucoup de Starlink d’Elon Musk mais Amazon est aussi entré sur ce marché avec son projet Kuiper. Starlink estime le déploiement nécessaire de 12’000 à 30’000 satellites pour atteindre une couverture optimale. Chaque satellite pesant 800 kg et est voué à une durée d’exploitation de 5 ans. Le tout est mis en orbite par le lanceur Fusée Falcon 9.
Les Chinois avec leur programme GW devraient avoir mis 13’000 satellites à l’horizon de 2026. C’est-à-dire demain.
Pour l’heure, les principaux inconvénients de l’internet par satellite sont le temps de réponse, la qualité de transmission moindre par rapport au câble et le prix pour l’usager final.
Comment voyez-vous l’avenir des câbles sous-marins dans un monde de plus en plus connecté ?
Leur nombre augmente régulièrement : ils étaient environ 263 en 2014, puis 378 en 2019 et 406 en 2020. Le câble évite la perte de temps induite par la distance nécessaire pour effectuer une transmission par satellite. Soit 0,24 seconde dans le cas d’un aller-retour vers un satellite géostationnaire. En plus, le développement des pays membres des BRICS ou encore ce qu’on appelle communément le sud global augmente la demande en câbles sous-marins. Ces acteurs à l’influence exponentielle ne vont pas longtemps se reposer l’infrastructure des GAFAM ou encore la pseudo bienveillance occidentale. Ils voudront être indépendants en terme de connectivité.
Quels développements technologiques pourraient améliorer leur performance ou leur sécurité ?
Les câbles à fibre optique sous-marins modernes ont généralement une épaisseur comprise entre 0,8 et 1,2 pouce. Ils sont constitués de plusieurs couches de matériau protecteur, tel que le Kevlar, autour d’un seul noyau de fibre de verre. La couche la plus externe est généralement un revêtement en polyéthylène pour protéger le câble de l’environnement.
Selon vous, quelle est la plus grande idée fausse que le grand public a au sujet des câbles sous-marins et de leur rôle dans Internet ?
La solidité de l’infrastructure. De croire que tout bénéficie d’une fiabilité imparable. Je pense que le divin nous a plutôt épargné jusqu’à présent. Parce qu’en réalité tout est très fragile et les câbles sous-marins, en jargon militaire, peuvent être considérés comme des cibles molles.
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